La légende d'Ernie
un héros de Bretagne
Chant 1, Et si tout commençait par une boite à pizza ?
EAT EARTH
Dans un monde où l’art s’empêtre dans ses marchés et caquète dans le vent des espaces numériques, permettez-moi de vous présenter un vecteur d’expression artistique aussi improbable qu’essentiel. Un vecteur qui illustre avec une clarté radieuse la proposition existentialiste majeure : l’existence précède l’essence.
Je veux parler ici du carton à pizza. Certes, cet écrin est modeste, conçu pour une mission aussi prosaïque que le transport d’un plat si populaire, mais il se révèle être le chevalet idéal, accessible à tous et prêt à voyager jusque dans l’intimité de vos foyers.
Imaginez ce carton, ayant autrefois accueilli les espoirs d’une soirée libre de vaisselle, se métamorphoser en une vibrante toile d’artiste inspiré. Bien au-delà du simple recyclage, du nécessaire geste du citoyen responsable, ne serait-ce pas un vibrant plaidoyer contre le système élitiste gouvernant le prix des fournitures artistiques ?
Et si, comme l’affirmait Jean-Paul Sartre, l’existence de toute chose précède son essence, alors chaque carton à pizza devient, par la grâce de l’artiste, un potentiel univers pliable à tous les possibles.

eR.B. - I sold the world - Pizza au feu de bois.
2014 - 30x30 cm - collection privée
J’aurais grandement désiré que Camus pût partager ce spectacle à ma table. Ce chantre de l’absurde aurait sûrement savouré l’ironie d’un carton, à l’instant maculé de tomate et d’huile d’olive, devenir le théâtre réconciliant l’homme et son destin. Dans un monde où l’absurde se niche dans chaque recoin du quotidien, quoi de plus subversivement merveilleux que de transformer un objet de consommation éphémère en un artefact durable et choyé ?
Mon tendre Camus y aurait vu une forme de révolte, une geste audacieuse insufflant du sens là où, au jour le jour, il semblait n’en point exister.
Léger, plat, et déjà prêt à être expédié, le carton à pizza est l’antithèse des toiles lourdes et coûteuses. Pensez à l’efficacité – l’idéal de l’art à la portée de tous, envoyé d’un simple coup de tampon de poste. Quel autre support peut se targuer d’une telle accessibilité ?
L’art sur carton à pizza peut voyager à travers le monde aussi aisément qu’une lettre d’amour ou une carte postale. Oublions les NFT et autres artifices numériques qui enrichissent la bourse de l’Autre. J’ai besoin de chair, à tomate, de palper la matière, d’afficher à moi-même le luxe d’accumuler dans mon boudoir mes objets de désir. Chaque jour, j’ai besoin de toucher, de choisir, d’élire lequel de ces tableaux de prolétaire ornera mes murs, mon Home, mon Soi profond et solitaire. Et dans mon cabinet surtout… choisir mon Moi devant l’Autre.
choisir Mon Moi devant l’Autre...
A croire que j’ai besoin de contenir
mes pulsions profondes.
Rouge à lèvre couleur tomate,
jambon-jambon.
calzone.
