Notice d’inventaire n°7 — Bleu qui n'accorde pas. Micro-exposition d'Objets Restés sur le Seuil
- Karl Morysidès
- 4 avr.
- 3 min de lecture
Collection privée — Cabinet Art & Psy, Pont-Aven , Exposition permanente discrète : "Objets Restés sur le Seuil".
Description matérielle :
Récamière de psychanalyse, modèle asymétrique (dossier incliné, accoudoir à droite), structure en bois massif cintré, reposant sur des pieds d’époque.
Dimensions : environ 200 cm de long, assise basse, suspensions par ressorts métalliques d’origine.
Objet daté des années 1920, acquis en février 2025 aux Puces de Riec-sur-Bélon dans un état de ruine textile : tissu infecte à roses brodées, mousse effondrée, sangles fatiguées, très fatiguées. Seuls le bois et les ressorts étaient dignes de confiance.
Le tissu d’origine a été retiré. La restauration complète a été entièrement réalisée par la compagne de Fabrice Laudrin : nettoyage, regarnissage, couture intégrale. Le tissu choisi est un tapissier bleu canard — ou vert canard, selon les yeux — couleur incertaine, jamais tranchée, devenue trace d’un désaccord fondateur.
La banquette est aujourd’hui en usage quotidien dans le cabinet Art & Psy de Pont-Aven. Elle accueille les corps en analyse. Elle ne parle pas. Mais elle se souvient.
Datation estimée : Vers 1920 (structure)
Restauration et réinvestissement : février–mars 2025
Première séance : 1 avril 2025
État de conservation : Parfaitement restaurée. Tissu neuf, couture visible, plis volontaires. Bois d’origine traité. Ressorts fonctionnels. Objet vivant, chargé, stable.
Notice critique (Karl Morysidès, 2025) :
L’objet n°7, intitulé Le Bleu qui n’accorde pas, est une anomalie précieuse dans le monde psychanalytique.
Il est rare qu’un objet d’amour — un objet offert, cousu, restauré par un autre aimant — soutienne publiquement l’univers d’un praticien. Ce geste, souvent gardé dans la sphère privée, trouve ici une forme d’exposition sobre mais audacieuse. Il y a là une mise en danger : celle d’un cadre qui ne se veut pas impersonnel, mais incarné.
Une banquette recousue par celle qui aime n’est pas un simple meuble : elle signe une présence, une vulnérabilité assumée, un seuil d’interpénétration douce entre l’intime et le rituel clinique.
Et pourtant, l’objet ne trahit rien. Il ne déborde pas. Il ne parle pas de la vie du praticien. Il soutient. Il accueille.
Il participe silencieusement à cette forme rare d’élégance analytique : la personnalisation du cadre comme forme d’hospitalité, non d’appropriation.
Le tissu, bleu ou vert canard selon l’œil qui le regarde, renvoie à un désaccord amoureux jamais tranché, devenu structure. C’est dans cette incertitude que réside la vérité du seuil : rien n’est stable, tout est tenue, oscillation, interprétation colorée du réel.
Le bleu de ce tissu fait signe vers Yves Klein — mais il le détourne. Ce n’est pas un bleu d’élévation, c’est un bleu habité, un bleu d’usage, plié, cousu, inscrit, qui absorbe plutôt qu’il ne rayonne.
Chaque couture est une trace. Chaque couture est un acte clinique déguisé en geste domestique.
Références croisées :
Klein, Y. (1957). Le dépassement de la problématique de l’art.
Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau.
Didi-Huberman, G. (2001). La ressemblance par contact.
Derrida, J. (1993). Politique de l’amitié, pour l’exposition mesurée de l’intime.
Statut muséal : A disposition. Strictement en usage clinique. Ne fait pas décor, ne fait pas anecdote. Elle fait présence, fait seuil, fait peau. Son origine n’est pas cachée. Elle n’est pas exhibée. Elle persiste en silence, comme un pli de l’amour dans le cadre.
Nota Bene : Le Bleu qui n’accorde pas est un acte d’acceptation : celui d’un tissu imparfait, d’un désaccord coloré, d’un amour visible mais contenu, invisible à l'analysé.
C’est cela que l’analyse peut soutenir : la présence de ce qui ne s’efface pas, mais ne déborde jamais. Cette œuvre est probablement l'objet central des "Objets restés sur le Seuil."
