Notice d’inventaire n°5 — Saint Freud veille au change. Micro-exposition d'Objets Restés sur le Seuil
- Karl Morysidès
- 4 avr.
- 4 min de lecture
Collection privée — Cabinet Art & Psy, Pont-Aven , Exposition permanente discrète : "Objets Restés sur le Seuil".

Saint Freud veille au change. Billet de 1 USD (version eRb / Saint Freud)
Description matérielle : Billet de 1 dollar américain, série 2006, modifié par surpeinture. Support d’origine en papier fibreux, dimensions 66,3 × 156 mm.
La surface recto a été partiellement recouverte à l’acrylique par l’artiste eRb : un cerveau rose posé sur un divan rouge, dans un style pictural évoquant les gestes premiers du graffiti et de la signalétique urbaine.
Mention manuscrite : "Take care of your mental health", en lettres roses tremblées.
L’œil de Freud, recréé dans le détournement, semble percer la surface comme une conscience résiduelle — rappel spéculaire de l’œil au sommet de la pyramide sur les billets de 1 USD : surveillance non résolue, ou transmutation de l’œil divin en regard analytique ?
Encadré sous verre, sans passe-partout. Fond mauve, couleur liturgique du temps de l’attente, de la pénitence et du seuil (Avent, Carême). Teinte de passage. Le rose utilisé en surpeinture évoque les dimanches Gaudete et Lætare, ces moments d’adoucissement symbolique dans les cycles de rigueur. Le cadre est noir, funèbre, fermé : deuil du Père, ou trace plastique d’un meurtre nécessaire ?
L’œuvre est accrochée au mur du cabinet Art & Psy, mais ne possède aucune place fixe. Elle change de mur, glisse, migre. Elle suit l’humeur du praticien, ou peut-être celle du transfert initial entre l'étudiant/étudié et son mentor.
Datation estimée :
Billet imprimé en 2006.
Offert à Fabrice Laudrin par Karl Morysidès en 2006, à la fin de sa psychanalyse didactique.
Peint et modifié par eRb en 2023, à l’occasion de l’installation définitive du cabinet de Pont-Aven.
État de conservation :
Transformé, mais stable. L’état initial du billet : jamais circulé, soigneusement conservé dans un lieu intime, hors cabinet. Après intervention plastique, l’encadrement a stabilisé l’ensemble. Conservation correcte, vibrante.
Notice critique (Karl Morysidès, 2025) :
L’objet n°5, dit « Saint Freud veille au change », est à la fois relique, icône et passage.
Ce billet n’a pas été trouvé, ni acheté, ni ramassé. Il a été offert. Par moi. À Fabrice Laudrin, à la fin de sa psychanalyse didactique. Non comme un présent, mais comme un passage de relais, un fragment chargé, un symptôme donné en héritage.
Ce n’est pas un cadeau. C’est un acte de foi.
Ce dollar portait déjà les stigmates du pouvoir : Washington, "In God We Trust", la pyramide, l’œil. Tous les signes d’un Père impossible à tuer. Freud s’est alors glissé dans cet espace comme une rature affectueuse. Non pas en nouveau dieu, mais en icône déplacée. Une figure du savoir et de la dette, prête à être aimée, trahie, tuée, selon les règles.
Le billet n’était pas exposé. Il vivait dans le salon, la bulle intime de Laudrin. Il veillait sur l'identité de psychanalyste de Fabrice Laudrin. Ce dernier a une propension à être multiple et parallèle. Ce billet était aussi le phare à l'horizon, la route intime du retour vers quoi je l'avais patiemment formé. J'y avais mis une énergie particulière.
Puis, en 2023, il fut consacré : exposé dans le cabinet, transfiguré par l’artiste eRb, et rendu public, visible, interrogatif.
Le cerveau rose sur le divan rouge pourrait faire sourire. Il flirte avec l’infantile, le kitsch. Mais c’est ce décalage qui rend l’œuvre poignante : elle n’inspire pas la foi, elle l'interroge. Elle ne cherche pas la preuve. Elle place Freud dans une zone ambiguë, entre icône et caricature, entre mystique et slogan.
Dès lors, Freud devient Saint Freud. Une figure du sacré déplacé, déplacé dans l’économie, puis dans le champ de la santé mentale, sans jamais s’y fixer. C’est pourquoi l’œuvre voyage. Elle refuse le repos, la fixité. Elle incarne le désir idéalement renouvelé : mobile, inassignable, instable, le prix à payer, même symbolique.
Références croisées :
Freud, Totem et tabou, pour la figure du père tué et sacralisé.
Derrida, Foi et savoir, pour la tension entre croyance, sacré et transmission.
Anzieu, Le Moi-peau, pour la matérialité symbolique du billet comme enveloppe psychique.
Deleuze, Logique du sens, pour l’acte de recouvrir un billet comme une surface de résistance.
Laudrin, F. (2023). Cash ou divan : psychanalyse d’un dollar en analyse. www.psy29.com
Statut muséal :
Œuvre accrochée mais non assignée. Visible, instable, sans cartel. Change de place sans justification. Son statut reste flottant : entre objet psychanalytique, œuvre plastique, souvenir personnel et piège visuel.
Nota Bene :
Ce billet a été offert, transformé, puis réintégré. Il condense la dette, la filiation, l’image du père, le pouvoir de l’argent, et la fragilité mentale.
C’est un talisman, instable mais résistant, qui refuse toute réduction symbolique.
Il n'a de valeur faciale que celle de la transaction séculaire : 1 USD. Une valeur mouvante, contextuelle, historique, consensuelle, référente à une valeur matérielle immuable et conservée quelque part dans un Fort Knox. Faciale magnifiée par l'artiste eRb.
Et surtout il contient tout ce que la psychanalyse ne dit pas. Non, plutôt, ce que la filiation entre psychanalystes ne dit pas.