MANIFESTE DE L'AFTERMADE
- Fabrice LAUDRIN

- il y a 6 jours
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[English]
Fixer l’Aftermade
Il fallait, tôt ou tard, fixer l’Aftermade. Non pour l’enfermer — il ne survivrait pas à la clôture — mais pour lui donner une forme première, une assise, un socle où son apparition pourrait enfin se reconnaître. L’Aftermade n’est pas un concept jeté en l’air : il est né d’années d’observations, de déambulations, de ratages, de murs blanchis trop vite, de traces obstinées qui refusent de disparaître.
Au sein du Cercle Franco-Autrichien de Psychanalyse, nous avons vu revenir, encore et encore, cette même scène primitive :quelqu’un tente d’effacer, et quelque chose revient. Ce retour n’a pas d’auteur, pas de projet, pas d’intention esthétique. Il a la force des vérités discrètes : celles qui remontent parce qu’on les croit enfouies.
Il fallait donner un nom à cette remontée, à cette insistance du réel, à ces silhouettes nées de l’effacement qui échoue. Ce nom, nous l’avons choisi : Aftermade.
Un mot qui dit bien ce qu’il doit dire :ce qui se fait après qu’on a voulu défaire.
Aujourd’hui, l’Aftermade doit être posé dans une forme écrite. Non une théorie, non une méthode, non un protocole — mais une déclaration. Un manifeste pour tracer un seuil : celui entre l’effacement et la réapparition, entre la matière qui résiste et le sujet qui projette, entre ce que l’on voulait supprimer et ce qui revient malgré soi.
Fixer l’Aftermade, c’est seulement cela :offrir un cadre à ce qui ne cesse de s’échapper.
Le texte qui suit n’est pas un cadre rigide ; c’est la première lumière jetée sur un phénomène qui demande à rester vivant, mouvant, imprévisible. Une lumière oblique, comme celle qui traverse les ateliers, les murs mouillés, les plaques d’enduit, les papiers raturés.
Fabrice Laudrin
Pont-Aven, le 23 novembre 2025
Un jour de pluie où la lumière des Nabis dégorge des murs du bourg de Pont-Aven.
Cercle Franco-Autrichien de Psychanalyse
MANIFESTE DE L’AFTERMADE
L’Aftermade naît d’un effacement qui échoue. Chaque fois qu’un geste — technique, social, intime, politique — tente de faire disparaître une trace et que la disparition refuse de disparaître, une forme apparaît.
C’est cela, l’Aftermade : l’art qui surgit malgré l’effacement.
L’Aftermade n’est pas une œuvre, mais une apparition. Il n’y a ni auteur, ni intention, ni création préméditée.
Il n’y a qu’un accident : un geste de recouvrement, et la réponse imprévisible de la matière.
La forme de l’Aftermade ne vient ni du support seul, ni du regard seul. Elle naît dans la collision de deux insistances :
– la matière qui percole, remonte, affleure,
– le sujet qui projette, organise, interprète.
L’Aftermade est ce point où percolation et projection deviennent indiscernables.
L’effacement n’annule pas : il déclenche.
La couche trop mince, la pression trop forte, la chaux trop rapide, la rature trop hâtive, le “delete” trop confiant
réveillent la mémoire du support. Le monde remonte. Et cette remontée appelle un regard.
L’Aftermade appartient au support. À sa mémoire, à ses pigments, à ses fibres, à ses sels, à ses cicatrices.
Tout support sait résister.
Tout support sait laisser remonter ce qu’on voulait y noyer.
L’Aftermade appartient au regard.
Car ce qui surgit n’existe qu’à la mesure de celui qui voit.
Un enfant y trouve SON ours.
Une adolescente y trouve SA grand-mère.
Un adulte y trouve UN fantôme.
Un autre n’y voit RIEN.
Un artiste UNE forme à détourner.
Ce qui change n’est jamais la trace : c’est le sujet qui s’ouvre.
Au cœur de l’Aftermade se tient Narcisse.
Mais un Narcisse sans miroir.
Ici, la surface ne reflète rien : elle réfracte.
Elle brise ton regard et te renvoie, par fragments,
non ton image, mais ton inconscient en train de se former dans la tache.
"Tu crois voir une figure.
Tu rencontres ta propre profondeur.
L’Aftermade révèle ceci :tu ne regardes jamais la trace
—tu te regardes en train d’y survivre."
Un Aftermade n’expose rien ; il révèle.
Un mur raté devient une figure.
La figure devient un souvenir.
Le souvenir devient une blessure.
La blessure devient un fantasme.
Et tu appelles cela “voir”.
L’Aftermade est l’art le plus intime.
Parce qu’il ne parle jamais de ce qu’il montre, mais de ce que tu y déposes.
Il ne raconte pas le monde :
il raconte la manière dont tu t’y accroches.
L’Aftermade est l’art le plus dangereux.
Il retire l’auteur, le style, la promesse, la justification.
Il te laisse seul avec une apparition qui remonte
et qui demande :
« Qu’as-tu fait de ce que tu voulais oublier ? »
Le Readymade saisissait un objet.
L’Aftermade saisit un retour.
Non l’objet choisi, mais l’insistance du réel.
Non ce qui était là, mais ce qui revient
après que quelqu’un a tenté d’effacer.
L’Aftermade est un art du seuil.
Entre disparition et re-apparition, entre recouvrement et résurgence, entre geste de négation et vérité qui refuse.
Né des murs, l’Aftermade déborde les murs.
Il s’étend à tout ce qui résiste :
la page raturée, la photo effacée, le fichier supprimé, la mémoire qu’on croyait éteinte, le visage qui revient dans l’usure, les archives qui transparaissent sous la censure, la vie elle-même.
L’Aftermade est l’art de l’apparition unifiée. La matière remonte, le sujet s’y reconnaît,
et aucune frontière ne permet plus de distinguer ce qui vient du monde de ce qui vient de toi.
Enfin et surtout, L’Aftermade n’est pas un test de psychologie projective.
Il ne propose aucune ambiguïté construite.
Aucune intention psychologique.
Aucun protocole ni grille d’interprétation.
La projection n’y est pas sollicitée : elle surgit.
L’Aftermade ne mesure rien — il révèle ce qui remonte quand quelque chose refuse de disparaître.
L’Aftermade est l’art que personne ne fait,
que tout support rend possible,et que chaque regard transforme en aveu.

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