Guernica, Face à Freud - Introduction
- Fabrice LAUDRIN
- 16 févr.
- 3 min de lecture

Guernica n’a pas besoin d’être présenté. Dès qu’on le voit, quelque chose se brise. Cette fresque monumentale en noir, blanc et gris n’est pas seulement un tableau : c’est un cri figé, un instant suspendu, un chaos où les corps se tordent sous une lumière impitoyable. Peint en 1937, en pleine guerre civile espagnole, Guernica est devenu le symbole universel de la violence et du traumatisme collectif. Une scène de douleur silencieuse, sans véritable narration, mais où chaque détail semble hurler une vérité insoutenable.
Le tableau a été commandé pour l’Exposition internationale de Paris, au pavillon de la République espagnole. Quelques mois plus tôt, en avril 1937, la ville basque de Guernica avait été rasée par les bombardiers nazis venus soutenir Franco. Un massacre aérien inédit, des centaines de civils tués en quelques heures. Picasso, installé à Paris, est frappé par l’ampleur de cette destruction. Il abandonne ses premières idées pour la fresque et se lance dans ce qui deviendra l’une des œuvres les plus emblématiques du XXe siècle. Une toile de 7,76 mètres sur 3,49, où se croisent taureaux, chevaux, bouches hurlantes et corps disloqués, dans une scène de catastrophe suspendue. Pas d’avions, pas de bombes, pas de soldats : rien n’est montré directement. Tout est dans l’éclatement, la métaphore, le symbole.
Mais plus on regarde Guernica, plus il échappe. Le tableau ne raconte pas une histoire, il rejoue une scène psychique. Un monde où le temps s’est dissous, où les défenses du moi se sont effondrées, laissant place à une régression traumatique, une traversée des grandes étapes du développement pulsionnel freudien. De l’oralité destructrice à l’échec du contrôle anal, du cheval transpercé par la lance à la lumière glaciale de l’œil central, chaque fragment de Guernica devient une porte vers un stade de la libido. Mais ici, la progression n’est pas ascendante : elle est régressive, morcelée, figée dans une boucle sans fin.
En creusant un peu plus, ce tableau se révèle aussi une danse macabre entre Eros et Thanatos, entre pulsion de vie et pulsion de mort, où l’énergie vitale est sans cesse ravalée par la désintégration. Il devient également une scène de répétition traumatique, où chaque geste se rejoue encore et encore, sans possibilité d’échapper à l’instant figé du désastre. Enfin, Guernica est une vitrine de mécanismes de défense, où le refoulement, le déplacement, la dissociation, et d’autres stratégies inconscientes s’entrelacent pour éviter l’effondrement psychique, mais finissent par trahir la fragilité de ce système de protection.
Cette série d’articles propose d’explorer Guernica comme une psyché en crise, à travers cinq grandes étapes :
Les stades de la libido, en suivant l’évolution régressive des pulsions dans le tableau.
Eros et Thanatos, pour plonger dans cette lutte entre vie et mort qui structure l’œuvre.
La compulsion de répétition, ou comment Guernica rejoue sans cesse la scène du trauma.
Les mécanismes de défense, ces stratégies déployées dans l’image pour contenir l’insoutenable.
Et enfin, une synthèse, où l’on verra comment Guernica dépasse la simple représentation du trauma pour devenir un théâtre du réel, une scène où la mémoire collective se mêle à l’éclatement du moi.
Commençons par le début. Une bouche noire, béante, au centre du tableau. Un cri muet qui semble vouloir tout avaler. C’est là que tout commence. Par l’oralité. Par la faim. Par la perte.