Rimbaud. SYNTHESE
- Fabrice LAUDRIN
- 5 avr.
- 4 min de lecture

Ce texte propose une synthèse opératoire des cinq articles de la série Rimbaud.
Chacun déployait une lecture cliniquement active d’un motif rimbaldien (le Je, la langue, l’errance, l’effondrement, l’abandon) mis en relation avec une figure artistique contemporaine.
Cette synthèse présente cinq outils fondamentaux pour la psychanalyse du Seuil : maniables, poétiques, à haute valeur clinique.
Elle ne vise pas à théoriser le sujet mais à en cartographier les seuils d’émergence.
Rimbaud devient ici non un auteur référencé, mais un éclaireur de topologies psychiques radicales.
Pourquoi Rimbaud, pourquoi maintenant ?
Parce qu’il a tout quitté. Parce qu’il a tout dit. Parce qu’il n’a pas cherché à laisser une doctrine mais des traces vives, brûlées, essentielles.
Dans un monde saturé de modèles, de prescriptions comportementales et de protocoles thérapeutiques, Rimbaud demeure un allié paradoxal : il ne propose rien, mais il ouvre. Il fait place. Il construit une langue pour l’indiscernable, une syntaxe pour les fuites, un territoire pour les vacillements.
La psychanalyse du Seuil ne cherche pas à figer le sujet. Elle s’intéresse aux moments de bascule, aux passages, aux points de départ. Dans cet horizon, les poèmes de Rimbaud et les gestes de certains artistes contemporains (Basquiat, Viola, Kiefer, Abramović) ne sont pas seulement des objets de lecture, mais des machines de seuil. Ils produisent des cliniques.
Cette synthèse isole cinq gestes rimbaldiens fondamentaux, chacun étayé dans un article de la série, pour en faire des outils à part entière.
Cinq outils rimbaldiens pour la psychanalyse du Seuil
"Je est un autre" n’est pas un aphorisme, mais une clé clinique. Il permet de comprendre le sujet non comme une unité mais comme un point de passage. Le Je n’est pas ce qui se possède, mais ce qui se traverse. Cela ouvre la possibilité d’accueillir en analyse les changements de registre, les dédoublements, les ruptures d’adresse, non comme troubles mais comme signes de vie psychique.
Lorsque Rimbaud fait éclater la syntaxe, il n’exprime pas le chaos : il invente une langue depuis la faille. Cette approche permet d’accompagner en analyse les formes d’énonciation décomposées, les silences, les logorrhées fragmentées, les idiomes sans règle. Là encore, il ne s’agit pas de corriger, mais de reconnaître dans la désintégration une possible syntaxe autre.
Loin de signifier la perte, l’errance devient un dispositif d’altération volontaire. Rimbaud se perd pour mieux surgir ailleurs. Viola suspend le mouvement pour en faire un temps d’attente. En analyse, cela permet d’entendre les fuites, les discontinuités, les migrations intimes comme des rituels de reconfiguration du sujet. L’errance n’est pas erratique : elle est structure sans centre.
Le feu, chez Rimbaud comme chez Kiefer, n’est pas destruction, mais condition de recomposition. Ce que la psychanalyse du Seuil nomme « effondrement productif », c’est cette situation où le sujet tombe, non pour être secouru, mais pour qu’un sens autre se dégage dans la cendre. Il s’agit alors de soutenir non la résilience, mais la combustion.
Ni soumission, ni démission, l’abandon devient ici un geste de révélation. Rimbaud se tait, Abramović s’expose. L’un part, l’autre reste. Tous deux mettent en scène une forme d’adresse nue. En analyse, cela permet d’accueillir les retraits, les silences, les gestes de disparition comme des adresses autres, souvent plus fortes que les discours. L’abandon produit une présence rare : celle qui ne veut plus convaincre.
Un art de l’inaperçu
Cette grille rimbaldienne n’a rien d’exhaustif. Elle n’est pas à appliquer, mais à habiter. Elle offre une manière d’entendre ce qui passe, ce qui se retire, ce qui vacille. Elle propose une pensée du sujet non pas à partir de sa stabilité, mais depuis ses discontinuités.
Dans un monde où la parole est souvent attendue comme preuve de normalité, la psychanalyse du Seuil, avec Rimbaud, affirme : la faille est une adresse.
Bibliographie essentielle
Anzieu, D. (1985). Le Moi-peau. Paris : Dunod.
Camus, A. (1942). Le Mythe de Sisyphe. Paris : Gallimard.
Lacan, J. (1966). Écrits. Paris : Seuil.
Lepecki, A. (2016). Singularities: Dance in the Age of Performance. London : Routledge.
Abramović, M. (1974). Rhythm 0 [Performance]. Studio Morra, Naples.
Basquiat, J.-M. (1981–1988). Œuvres picturales [Peintures]. Whitney Museum of American Art, New York ; Fondation Louis Vuitton, Paris.
Didi-Huberman, G. (2003). L’étoilement. Paris : Minuit.
Freud, S. (1920). Au-delà du principe de plaisir. In Essais de psychanalyse. Paris : Payot.
Guyaux, A. (2021). Rimbaud. Œuvres complètes. Paris : Gallimard, coll. "Poésie".
Kiefer, A. (1985-1989). Zweistromland [Installation]. Sammlung Grothe, Duisbourg.
Rimbaud, A. (1873/2021). Une saison en enfer. In A. Guyaux (Ed.), Œuvres complètes (pp. 115–140). Paris : Gallimard.
Viola, B. (2002). Going Forth by Day [Installation vidéo]. Guggenheim Museum, Berlin.
Yalom, I. D. (1989). Love’s Executioner and Other Tales of Psychotherapy. New York: Basic Books.