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"MERDRE", comme dirait Ubu

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 30 mars
  • 3 min de lecture

Picabia, notre "Dada" préféré, dit : « L’art est un produit pharmaceutique pour les imbéciles », évangile de la revue 391, n°12, mars 1920, Paris.

Aujourd'hui nous sommes tous artistes, donc nous sommes tous des imbéciles.


Et notre "Saint Jean-Baptiste" préféré avait écrit trois ans plus tôt : « Le cerveau est un meuble usé. », évangile de la revue 391, n°4, mars 1917, New York.

Aujourd'hui, franchement, faut croire qu'il écrivait pour notre génération.


Tous Artistes, tous trahis par notre cervelet.


« J’ai été choqué par cette fin ! » (sic YouTube)

Dada voulait ça.

Il voulait la fin du chef-d’œuvre, la désacralisation des pinceaux, le crachat sur l’harmonie.

Il rêvait qu’un jour tout le monde puisse créer, sans légitimité, sans savoir-faire, sans permission.

Il rêvait de saboter l’art en le donnant à tous.

Eh bien, c’est fait.

Mission accomplie. Massacre validé.

« Le pire french kiss de ma vie. Il se passe un truc de fou à 1:32 » (sic YouTube)

 

« Incroyable ce que ce mec fait avec du pain ! »

Tous artistes.

Tous encadrés de filtres.

Tous capables d’écrire « à la manière de » grâce à une IA.

Tous remixeurs de rien, commentateurs de vide,

vloggeurs de notre propre insignifiance.

"Ma chatte me parle... regardez CHOQUANT !"


« À regarder avant qu’ils ne le suppriment… »

On a remplacé le style par le filtre.

La folie par le preset.

Le choc par un titre clignotant

Et plus personne n’est choqué.

Parce que le mot “choquant” lui-même est épuisé.

Essoré, rincé, jeté comme un kleenex émotionnel.

Même la stupeur a été monétisée.

« La vidéo la plus DINGUE que j’ai vue de ma vie. »


  "Email anonyme, je suis choqué !"

Dada voulait tuer le langage bourgeois.

Aujourd’hui, c’est le langage tout court qui est crevé.

On ne parle plus.

On titre.

On n’exprime plus.

On « pousse du contenu ».

Et voilà la trahison de Dada.

"Ils dévoilent une IA Vidéo Ultime, c'est le CHOC !"


"Vidéo CHOC : l'art est mort ce matin"

Dada voulait la mort de l’art — mais pour que quelque chose d’invisible puisse enfin surgir.

Il ne voulait pas le vide tiède, il voulait le rien sacré.

Il voulait que l’explosion ouvre un seuil.

Qu’elle nous arrache le droit de rester spectateurs.

Mais l’explosion a eu lieu.

Et on a mis un filtre dessus.

On l’a ralentie en slow-motion.

On l’a titrée « Moment épique ! Le Choc de ma vie.».

On l’a repostée en boucle.

"LES PIRES RECHERCHES SUR MOI ! (j'suis choquée)"



"INCIDENT CHOQUANT EN DIRECT !"

Le scandale n’est plus qu’un sticker.

La provocation, un fond sonore à la hache, rabâché en rimes pauvres.

La pensée, une légende Instagram.

Même l’absurde a été rationalisé.

Rendu cliquable.

Compréhensible.

Algorithmiquement digeste.

"Ils dévoilent une IA Vidéo Ultime, c'est le CHOC !"


"Saint-Valentin, elle n'attendait pas de roses de ce type... Choquée !"

Alors quoi ?

On continue ?

On like, parce qu'on nous en supplie ?

On partage, parce qu'on a peur de rester seul ?

On met une musique triste sur notre impuissance ?

Non.

« Cul de poule »

On se tait.

On crache.

On recommence dans l’ombre.

On jure de ne rien publier tant que cela ne brûle pas.

On fait des œuvres qui n’existent que pour ceux qui ont vraiment traversé quelque chose.

"Attention SEQUENCE CHOOOC, on l'oblige à rammaser (sic) les crottes de son caniche."


Et si quelqu’un lit ce texte,

s’il croit que c’est un pamphlet, une analyse, une performance, une blague…

Qu’il sache ceci :

Merde à celui qui le lira. [1]

 

Odieux pour un psychanalyste ?

Alors tant mieux, c’est qu’il y a encore des mots, chez vous, aptes encore à être saisis.

Qu’il reste un espoir pour la psychanalyse. Et je ne serai jamais son Judas


Vous n'en avez rien à carrer ?

Alors tant mieux, c'est que le Nazaréen avait raison, heureux les esprits simples, ils hériteront du royaume. La gangrène a ça de bien, quand ça pue on coupe et ça gêne plus.



[1] - Rimbaud, A. (1871). Lettre à Paul Demeny, 15 mai 1871. Dans Œuvres complètes (édition établie par Antoine Adam, Bibliothèque de la Pléiade). Paris : Gallimard, 1972.






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