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Le David de Michel-Ange : le calme avant la tempête

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 5 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 févr.



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Le David de Michel-Ange, sculpté entre 1501 et 1504, n’est pas qu’un simple bibelot biblique pour amateurs de belles proportions. Non, c’est une énigme grandeur nature, un manuel de psychanalyse figé dans le marbre, un héros qui respire la tension sous une surface impeccable. S’il semble attendre patiemment son heure de gloire, son regard annonce déjà la bagarre. Et pas la bagarre bourrine, non : celle où tout se joue avant même que l’adversaire n’ait dégainé. Avec Lacan, Freud, Bergson et quelques autres compagnons d’analyse, penchons-nous sur cette icône musculeuse et son carnet de contradictions humaines.


David ou l’art d’attendre sans trembler

Ce David-là ne tranche pas encore de têtes. Il n’est ni victorieux ni défait : Michel-Ange le saisit juste avant l’instant décisif, ce moment où tout peut basculer. Une audace, quand on y pense, de sculpter un héros à l’arrêt, mais prêt à bondir. Camus aurait applaudi : voilà une figure de l’absurde, consciente de l’immensité du défi et pourtant résolue à agir.


Freud, quant à lui, aurait sorti ses lunettes : ce corps tendu est une allégorie vivante du duel entre le Ça et le Moi. D’un côté, les pulsions : tout ce marbre veut frapper, courir, en finir. De l’autre, la maîtrise : un Moi stratégique impose le calme, retenant le corps à la frontière de l’acte. Cette lutte, visible dans chaque veine gonflée et muscle tendu, n’est pas qu’une affaire intérieure : elle est sculptée, exposée. Un équilibre parfait entre maîtrise et chaos.


Un corps d’idéal, mais pas sans failles

À première vue, David est le gendre idéal de la sculpture classique : proportions impeccables, nudité héroïque, allure altière. Mais Michel-Ange n’est pas un naïf : il insuffle dans cette perfection des dissonances subtiles. Regardez ses mains : légèrement surdimensionnées, elles annoncent autant l’action qu’une certaine maladresse humaine. Les yeux, creusés d’ombres inquiètes, trahissent une introspection qui dépasse le simple combat.


Wilhelm Reich aurait vu dans ce corps une accumulation d’énergie vitale : David n’est pas un marbre lisse, il est une batterie chargée à bloc. Mais Alfred Adler, plus pragmatique, aurait rappelé que cette quête de perfection masque un désir de supériorité. Nu, sans armure, David est à la fois exposé et déterminé à prouver sa valeur. Une tension entre la fragilité humaine et la volonté d’écraser Goliath – au sens figuré, bien sûr.


Un regard qui juge autant qu’il interroge

Ah, ce regard. Ni perdu, ni serein, il scrute, jauge, évalue. Goliath ? Peut-être. Nous ? Certainement. Michel-Ange ne s’est pas contenté de sculpter un héros : il a fait de nous des participants involontaires. Lacan aurait souri : voilà une adresse parfaite à l’Autre, avec un grand A. David s’inscrit dans une histoire, un ordre symbolique : il ne combat pas pour lui, mais pour s’inscrire dans une quête plus grande.


Mais ce regard, à bien y réfléchir, en dit plus sur nous que sur lui. Sartre aurait noté que ce héros nous force à nous positionner. Face à son calme tendu, son potentiel d’action, que faisons-nous ? Un héros qui nous oblige à réfléchir à nos propres attentes : voilà une œuvre qui ne se contente pas de remplir une salle de musée.


L’immobile qui bouge : le paradoxe bergsonien

David, bien que figé, est traversé par une énergie qui défie l’immobilité. Bergson, dans son idée d’élan vital, aurait vu dans cette statue un instant vivant, un mouvement en suspens. Chaque muscle, chaque tendon semble prêt à exploser en action. Ce marbre, paradoxalement, déborde de vie. Michel-Ange capte l’essence même de l’humain : ce moment où l’énergie contenue devient promesse, où le potentiel fait vibrer le présent.


C’est ici que réside l’énorme puissance de cette œuvre : une immobilité trompeuse, un calme qui gronde. Rien n’est encore joué, mais tout est déjà là. Une invitation à contempler, à projeter, et peut-être à agir. Parce que, comme David nous le rappelle, c’est souvent dans l’attente que se joue l’essentiel.



Bibliographie

  • Michel-Ange. David, 1501-1504. Galleria dell’Accademia, Florence.

  • Freud, Sigmund. Introduction à la psychanalyse. Paris : Payot, 1923.

  • Lacan, Jacques. Le Séminaire, Livre XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse. Paris : Seuil, 1973.

  • Reich, Wilhelm. La fonction de l’orgasme. Paris : Payot, 1942.

  • Adler, Alfred. Sens de la vie. Paris : Gallimard, 1933.

  • Bergson, Henri. L’évolution créatrice. Paris : PUF, 1907.

  • Sartre, Jean-Paul. L’Être et le Néant. Paris : Gallimard, 1943.

  • Camus, Albert. Le Mythe de Sisyphe. Paris : Gallimard, 1942.



Concepts psychanalytiques évoqués

1. Le Ça et le Moi (Freud)

Une lutte constante : le Ça, source des pulsions brutes, et le Moi, qui cherche à les canaliser. Chez David, cette dualité transparaît dans la tension entre son calme apparent et son énergie contenue.

2. L’Autre (Lacan)

L’Autre représente l’ordre symbolique : la loi, les attentes, le regard des autres. David, par son attitude et son regard, engage un dialogue avec cet Autre, nous rappelant qu’aucun acte n’est solitaire.

3. L’élan vital (Bergson)

L’énergie de la vie, cette force créatrice et dynamique, trouve ici une matérialisation parfaite : David, immobile mais prêt à agir, incarne ce mouvement contenu qui n’attend qu’un instant pour jaillir.

4. La lutte pour la supériorité (Adler)

David incarne le désir humain de se dépasser face à l’adversité. Son défi dépasse le combat physique : il cherche à prouver sa valeur, malgré sa vulnérabilité.

5. L’absurde (Camus)

Dans la disproportion entre un simple berger et Goliath, David reflète l’absurde : l’homme face à un défi démesuré, mais agissant malgré tout, trouvant dans cet acte un sens à son existence.



 
 
 

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