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L'oreille greffée d'Ernie : Palimpseste, bidouillage et fausse note assumée.

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 21 févr.
  • 3 min de lecture

J'me suis fait greffer l'oreille de Van Gogh, Erb, 2012, disque vinyle 33 tours et collage - collection particulière.


L’œuvre d’ErB, c’est du velours pour l’esprit malicieux. Un vinyle 33 tours de 2012, une relique sonore aux sillons préexistants, que l’artiste détourne avec jubilation. Au cœur du disque, Ernie, son personnage récurrent, chante, mais pas ce qui est gravé dans le sillon. Il braille : "J'me suis fait greffer l'oreille de Van Gogh". L'image impose un son qui n’est pas là. Voilà le grand écart : un support qui archive l’inaudible, un personnage qui revendique un son absent.


L’œuvre joue sur l’effacement et la superposition. L’étiquette bleue du disque est partiellement dissimulée, ne laissant subsister qu’un mot : "DUPLICATION". Un vestige d’une répétition tronquée, d’un faux-semblant d’intégrité. Ici, pas de copie conforme, mais une altération assumée, une réécriture par effraction.


Le vinyle, d’habitude fidèle et inflexible, se retrouve trahi par son propre support. Ernie chante une phrase qui n’est pas dans le disque. Ce que nous lisons et ce que nous entendons n’ont plus de lien tangible, et voilà que la mémoire sonore devient un terrain glissant.


Ernie n’est pas un chanteur d’opéra, c’est une carcasse en perpétuel bricolage. Ici, il a une oreille greffée à l’arrache, recousue à la truelle avec des points en "X". La greffe prend mal, et c’est bien l’idée :

Un rafistolage douteux, une oreille plaquée comme une rustine sur un pneu crevé. Un clin d’œil à Van Gogh qui, lui, s’est amputé par souffrance quand Ernie s’invente un greffon pour jouer les artistes maudits à peu de frais. Une usurpation grotesque, car l’oreille de Van Gogh ne lui donne pas le génie du peintre, juste une signature bancale et un décalage assumé.


Là où le vinyle archive, Ernie réclame. Il affirme chanter, mais rien dans les sillons ne le prouve. Cette fracture nous force à interroger la notion même de seuil sonore. Pourquoi sa voix n'est-elle pas dans le disque ? Comment un son peut-il exister dans l’image sans toucher l’oreille ? L'œuvre met en scène un paradoxe : on nous vend un son qui ne se joue que dans la tête du spectateur. Il y a un vrai plaisir dans cette discordance, ce mensonge amusé où l’on entend sans écouter.


Ernie campe une version moderne du Trickster, le saboteur qui prend la réalité pour un terrain de jeu. Son oreille greffée est une fausse preuve, un artefact d’emprunt qui ne lui donne aucun pouvoir particulier, sinon celui du doute et du détournement.


Cette œuvre exhibe le faux raccord généralisé : l'image d'Ernie nous vend une histoire qui ne colle pas avec la nature du disque. Ce montage exacerbe l'usurpation et le simulacre : Il ne devient pas Van Gogh, il en pioche un morceau pour se donner un air de tragédie. Enfin, elle met en avant l'interstice entre matière et signification : Le vinyle, supposé immuable, devient un terrain d’imposture artistique.


Cette œuvre d’ErB fait de l’altération une règle du jeu. Ici, l’authentique est mis en lambeaux, la voix n’est plus qu’une suggestion, et la répétition n’a plus aucune garantie de fidélité. Le disque n’est plus un objet de conservation, mais un champ de mines conceptuel.


Cette œuvre d'ErB, nous susurre que l’oreille greffée d’Ernie n’est pas qu’une mutation physique. C’est une faille ouverte dans le mécanisme d'écoute et de transmission. On n’entend pas toujours ce qu'on voit, et on ne voit pas toujours ce qu'on entend. Ici, Ernie pose la question ultime : et si tout n'était que du grand air sans musique, sans partition, sans règle outre que celles que l'on se fait à notre rythme ?


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