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Ernie, la Joconde et le Syndrome de la Porte qui Grince - l'apparition des méta-archétypes.

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 21 févr.
  • 4 min de lecture

L’étude du tableau Ernie et la Joconde nous a entraînés bien au-delà de la simple analyse d’une toile saturée de codes graphiques et de références pop. On pensait décortiquer un détournement ironique, un de ces hommages postmodernes qui jouent avec le patrimoine culturel comme un enfant avec une boîte de crayons de couleur. Et pourtant, à force d'observer cette Joconde revisitée, une fissure s’est ouverte sous nos pieds.


Ce qui apparaissait au premier regard comme une relecture amusée de l’icône a fini par se transformer en gouffre conceptuel, un vertige dans lequel l’image vacille sans jamais s’effondrer, figée dans une oscillation absurde. La Joconde ne traverse plus le seuil, elle s’y coince.


Vous voyez la scène : elle avance, un pied déjà de l’autre côté, et puis paf, la gravité s’enraye, les lois du passage s’enrayent, et elle reste coincée dans l’entre-deux, comme une vieille porte qui grince sans jamais se refermer.


Depuis Duchamp, Warhol et Banksy, on sait que les icônes culturelles sont manipulables à l’infini, qu’on peut les tripoter, les moustacher, les sérigraphier, les balancer sur un mur à coups de bombe aérosol. Mais cette Joconde-là ne se contente pas d’être détournée.


Elle ne s’efface pas, mais elle ne se rétablit pas non plus. Elle ne disparaît pas, mais elle ne redevient jamais totalement lisible. Elle est coincée. Pas détruite, pas vénérée, juste en suspens, comme une vieille enseigne de boucherie qui oscille dans le vent, grinçante, incapable de choisir entre tomber ou tenir bon.

C’est là que tout a basculé.


Nous avons compris que nous étions face à une nouvelle catégorie de figures visuelles, une catégorie qui n’est plus dans la transition, mais dans la saturation.

Nous avons compris que la Joconde ne passait plus un seuil, elle stagnait dans un espace où l’image tourne sur elle-même sans jamais retrouver son origine.

Et c’est ainsi que nous avons dû convoquer un concept inédit : Les Méta-Archétypes.


La Madone du Seuil : Une Joconde en Trop-plein

La Madone du Seuil est née de ce constat absurde : elle n’avance plus, elle n’est plus tout à fait là, mais elle n’est pas non plus tout à fait ailleurs.

L’histoire avait pourtant bien commencé.


Dans l’iconographie byzantine, la Madone était un seuil sacré, un lien entre la chair et la transcendance. À la Renaissance, elle était un équilibre subtil entre l’incarnation et l’idéalisation.

Puis, est arrivé le XXe siècle et sa manie du dézingage. Duchamp lui colle une moustache. Warhol en fait une tapisserie de supermarché. Banksy la gaze. Elle aurait dû mourir mille fois. Mais non. Elle ne meurt pas, elle n’existe plus vraiment non plus.


Elle ne nous transcende plus, mais elle n’a pas totalement perdu son pouvoir d’attraction. Elle n’a plus d’aura, mais elle hante encore l’imaginaire collectif. C’est ce flottement, cette non-position, qui fait d’elle le premier Méta-Archétype.


Les Méta-Archétypes : Quand les Icônes se Coincent dans l’Histoire

Un archétype, chez Jung, est un repère stable, une structure mentale qui se répète à travers les âges. Mais notre époque ne produit plus de stabilité, elle produit du remaniement permanent. Nous sommes passés de l’icône figée à l’icône en panne, du mythe universel au recyclage permanent. Nous ne sommes plus devant des figures fixes, mais devant des images qui ne cessent de se répéter sans jamais retrouver leur forme initiale.


C’est dans ce cadre qu’apparaissent les Méta-Archétypes :

Méta-Archétype

Définition

La Madone du Seuil

Icône saturée entre sacré et marchandise, jamais totalement effacée ni totalement vénérée.

Le Spectre Répétitif

Figure qui revient sous mille formes, jamais totalement là, mais jamais totalement disparue.

Le Vortex Iconique

Image tellement saturée qu’elle ne signifie plus rien, absorbant toutes les interprétations sans en produire une seule claire.

Le Cadavre Magnétique

L’icône morte mais encore fascinante, qui ne produit plus rien mais continue d’exercer une attraction irrésistible.

Le Miroir Fissuré

L’image qui ne se reconnaît plus elle-même, éclatée en mille reflets contradictoires.

L’Horizon Fantôme

Une figure qui semble être partout mais qui n’a jamais eu de version originale stable.

Nous sommes entrés dans l’ère des figures flottantes, des mythes qui ne meurent jamais totalement, mais qui ne retrouvent jamais non plus leur état initial.


L’Image qui Hésite Entre Deux Mondes

Si Ernie et la Joconde nous a conduits jusqu’ici, c’est parce qu’il nous a mis sous les yeux un phénomène plus profond que la simple saturation visuelle. Nous avons remplacé les archétypes par des fantômes, et ces fantômes refusent de disparaître.


La Madone du Seuil est le symptôme de ce basculement : elle n’est plus une figure sacrée, mais elle n’est pas totalement désacralisée. Elle n’est plus une icône classique, mais elle n’est pas non plus une simple image consommable. Elle n’est plus un passage, elle est un blocage. Elle ne s’impose plus, elle traîne. Elle ne transcende plus, elle persiste.


Nous sommes entrés dans une époque où les images ne cessent de hanter l’espace sans jamais s’y fixer totalement. Nous ne sommes plus dans un monde d’icônes, nous sommes dans un monde de spectres graphiques, où les figures culturelles ne meurent plus, mais hésitent en boucle entre le trop-plein et l’oubli.



Bibliographie

Duchamp, Marcel. L.H.O.O.Q., 1919. Paris, Collection privée.

Warhol, Andy. Marilyn Diptych, 1962. Tate Gallery, Londres.

Jung, Carl Gustav. Les archétypes et l’inconscient collectif. Gallimard, 1964.

Benjamin, Walter. L'Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique. 1936. Éditions Allia, 2008.

Didi-Huberman, Georges. L’image survivante : histoire de l’art et temps des fantômes selon Aby Warburg. Minuit, 2002.



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