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Graffiti : (4) "Kilroy was here", le ricanement transgénérationnel.

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 18 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 19 févr.


Kilroy, une présence qui manque

Kilroy was here fixe, mais ne voit pas. Il est là, mais déjà ailleurs. Il dit qu’il était présent, mais c’est une affirmation du passé, une empreinte vide. En cela, il est une anomalie parfaite pour une lecture lacanienne. Son regard traverse les époques sans jamais se stabiliser. Il n’appartient à personne, et pourtant, tout le monde l’a vu quelque part. Il fonctionne comme une trace du désir, un reste insaisissable qui, plus on le cherche, plus il se dérobe. Lacan n’a jamais parlé de ce graffito, mais Kilroy was here est un objet lacanien. Un paradoxe ambulant du manque et de la présence.


Le regard de Kilroy was here : objet du désir et menace de l’Autre

Le regard est une notion centrale chez Lacan. Il ne s’agit pas seulement de voir, mais d’être vu. Or, Kilroy was here pose un problème : il regarde sans regarder. Son dessin simplifié le réduit à deux yeux et un nez, juste assez pour donner l’illusion d’une perception, mais pas assez pour l’incarner pleinement. Il n’a pas de corps, il n’a pas d’histoire, il est un pur dispositif de regard sans identité propre.


Ce regard produit un malaise. Pourquoi ? Parce qu’il rappelle à celui qui le croise qu’il est, lui, pris dans une structure du visible. Dans Les Quatre Concepts Fondamentaux de la Psychanalyse, Lacan explique que le regard de l’Autre est structurant : il nous assigne une place. Kilroy was here, lui, ne dit pas ce qu’il voit, il ne commente pas, il ne juge pas. Mais il nous rappelle que nous sommes regardés. Il crée une présence de l’Autre sans que cet Autre ne soit localisable.


Kilroy comme objet petit a : un manque qui persiste

Chez Lacan, l’objet petit a est ce qui manque fondamentalement au sujet et qui soutient son désir. Il est toujours en fuite, toujours insaisissable, et c’est précisément pour cela qu’il fait fonctionner le désir. Kilroy was here joue ce rôle : il n’est jamais vraiment là, il précède toujours, il est déjà parti au moment où on le voit.


Dans le champ du symbolique, il est une marque flottante, une signification qui n’a pas de signifiant fixe. Il est là pour signaler un passage, mais son propre passage est une absence. Il est ce qui fait trace, sans jamais révéler ce qu’il signifie. En cela, il est un pur objet petit a : un reste qui hante le visible, une énigme qui ne demande qu’à être poursuivie.


Une écriture du manque : Kilroy et le Nom-du-Père

Si l’Autre structure le sujet, alors qui est l’Autre de Kilroy was here ? Il ne renvoie à aucun auteur, à aucun individu précis. Il est une écriture sans signataire, un message sans destinateur ni destinataire précis. Dans la structure du langage, il serait une pure signification errante, une présence qui ne se fixe jamais.


Dans le schéma lacanien, Kilroy was here pourrait représenter une béance dans le symbolique, un point où le Nom-du-Père ne vient pas structurer la signification. Il est là, mais n’offre aucune réponse. Il est une cassure, un point de réel qui surgit dans l’espace du visible sans jamais livrer son sens.


Kilroy was here, une figure du regard qui défie l’ordre symbolique

Kilroy was here est un paradoxe : un regard sans regardant, une inscription qui n’enregistre rien, une trace qui affirme avoir été là tout en marquant une absence. C’est en cela qu’il fascine : il est un objet du désir, un vide à combler. Il attire précisément parce qu’il n’est pas là où on voudrait le trouver. Il n’est pas un signe, il est un effet du signe, une présence qui ne se définit que par son propre effacement.


Peut-être que Kilroy was here n’est pas seulement une blague de soldat. Peut-être qu’il est l’ultime farce du symbolique : un regard qui nous scrute, un nom qui ne renvoie à rien, et pourtant, une énigme que nous ne cessons de poursuivre.


Bibliographie

Lacan, J. (1973). Les Quatre Concepts Fondamentaux de la Psychanalyse. Paris : Seuil.

Lacan, J. (1953). Fonction et champ de la parole et du langage en psychanalyse. In Écrits. Paris : Seuil.

Miller, J.-A. (Ed.). (1986). Le Séminaire, Livre XI : Les Quatre Concepts Fondamentaux de la Psychanalyse. Paris : Seuil.

Freud, S. (1915). L’Inquiétante étrangeté. In Essais de psychanalyse appliquée. Paris : Gallimard.

Zizek, S. (1991). Looking Awry: An Introduction to Jacques Lacan through Popular Culture. Cambridge, MA : MIT Press.

Didi-Huberman, G. (1992). Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Paris : Minuit.

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