Freud, la sphinge et l’inconscient : l’énigme qui dévore celui qui veut la résoudre
- Fabrice LAUDRIN
- 3 mars
- 2 min de lecture
Dernière mise à jour : 4 mars

Sigmund Freud et le sphinx, une vieille histoire de fascination. Chez le père de la psychanalyse, la bête mythologique aux allures de diva sculpturale est partout : dans ses écrits, dans son cabinet, posée là sur un bureau comme un fétiche d’archéologue obsédé par l’indéchiffrable.
Car c’est bien de cela qu’il s’agit : le sphinx est l’incarnation même de l’énigme, et Freud, tout génial qu’il fut, s’y est frotté comme Œdipe avant lui.
À une nuance près : l’énigme, chez Freud, ne se résout pas. Elle s’ouvre, se déploie, dévoile un abîme et finit par vous avaler tout cru.
Une énigme au parfum d’Œdipe
C’est bien connu, Freud voyait des complexes d’Œdipe partout, et le sphinx n’a pas échappé à son flair analytique. L’histoire est limpide : une créature hybride, mi-femme mi-fauve, campe aux portes de Thèbes et ne laisse passer que ceux qui répondent à sa devinette. Œdipe, rusé comme un rat de bibliothèque, devine la réponse, la sphinge se suicide, fin de l’histoire ? Pas tout à fait. Freud y voit une métaphore plus tordue : le parricide symbolique et l’accession à la place du père. En décodant l’énigme, Œdipe ne fait pas que gagner le trône, il s’autorise à épouser sa mère. Jackpot œdipien.
Séduction, menace et pulsion de savoir
Mais le sphinx, ce n’est pas qu’un bon vieux cas d’Œdipe sous stéroïdes. C’est aussi une figure parentale hybride et vénéneuse. Un concentré de séduction et de menace, un de ces objets du désir dont on ne sait jamais s’ils vont nous donner la clé ou nous arracher la tête. Freud en fait un emblème des tensions inconscientes entre parents et enfants. Mélanie Klein et ses héritiers pousseront le vice encore plus loin : le sphinx comme symbole de la mère archaïque, cette première figure d’amour et de terreur qui nous berce d’une main et nous dévore de l’autre.
Freud et ses sphinges de salon
Preuve de cette obsession, Freud vivait entouré de sphinges. Pas en chair et en os (quoique...), mais sous forme d’objets fétiches. Un vase, un tableau d’Ingres, quelques sculptures disséminées dans son cabinet comme autant de fragments d’un mystère qu’il savait insoluble. Il contemplait ces figures figées comme on scrute l’inconscient : avec la conviction qu’il y a là un secret, mais sans garantie de jamais le percer.
L’inconscient, ce sphinx qui ne disparaît jamais
Dans le mythe, la sphinge meurt une fois son énigme résolue. Mais en psychanalyse, c’est une autre affaire : ici, l’énigme persiste, tourne en boucle, se déguise sous mille formes, refait surface au moment où on la croyait domptée. Freud le savait bien : dénouer une énigme ne fait pas disparaître le monstre, il le métamorphose. Et si l’inconscient était, au fond, un sphinx indestructible ? Une énigme qui ne meurt jamais, un secret qui se rit de ceux qui croient l’avoir percé ?
Bibliographie
Freud, S. (1900). Die Traumdeutung [L’interprétation des rêves]. Franz Deuticke.
Freud, S. (1913). Totem und Tabu [Totem et tabou]. H. Heller.
Klein, M. (1932). The Psycho-Analysis of Children. Hogarth Press.
Segal, H. (1979). Klein. Karnac Books.
Vernant, J.-P. (1990). Figures, idoles, masques. Gallimard.