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King of Art : Couronne pour un Archétype

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 20 févr.
  • 5 min de lecture
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La couronne et le Trickster

La figure du King of Art revient fréquemment dans le street art et ses expressions dérivées.


Mais il y a quelque chose d'assez cocasse dans cette histoire de King of Art. L'expression sonne comme une pancarte clinquante clouée à la hâte sur un bouge de quartier. Prétentieuse, oui, mais surtout moqueuse, comme une boutade lancée entre deux verres de mauvais whisky. Qui oserait encore se proclamer roi de l'Art, à une époque où la couronne passe de tête en tête au gré des modes et des caprices du marché ?


Chez Jung, le Roi est une figure d'ordre, de structure et de légitimité (Jung, 1959). Mais l'Art, dans son essence, se joue des structures. Il lui faut de l'écart, de la subversion, du chaos bien dosé. Là où l'on croit voir un souverain installé sur son trône, il y a souvent un Trickster en embuscade, prêt à détourner les insignes du pouvoir (Hyde, 1998). C'est ici que le King of Art révèle sa nature paradoxale : une couronne détournée, un sceptre en carton-pâte, un titre revendiqué et moqué dans le même souffle.


La couronne dans le vent

Basquiat ne s'y est pas trompé. Il dessinait des couronnes partout, mais il les attribuait aux marginaux, aux combattants, aux laissés-pour-compte (Hoffman, 2017). Une couronne taguée sur un mur ou plaquée sur un boxeur malmené ne sanctifie pas, elle ironise. L'Art ne reconnaît pas les titres officiels.


L'histoire regorge pourtant de figures artistiques qui ont régné, souvent par décret tacite du public. Raphaël, encensé de son vivant, fut surnommé "le prince des peintres" (Vasari, 1550). Vasari, l'historien de l'Art de la Renaissance, parle de lui comme d'un monarque de la composition, un organisateur né des formes et des volumes. Plus tard, Andy Warhol, affublé du titre de "Roi du Pop Art", savait jouer de son image de monarque indifférent, transformant sa propre figure en icône commerciale (Bourdon, 1989). Picasso, quant à lui, n'avait pas besoin qu'on lui attribue une couronne : il l'arrachait lui-même à coups de coudes, balayant ses contemporains avec une assurance qui frisait le despote absolu (Richardson, 1996).


L'archétype du Roi de l'Art

La psychanalyse jungienne classe ses figures archétypales avec une rigueur presque maniaque (Jung, 1954). On connaissait le génie torturé, l'éternel jeune prodige visionnaire, le sage contemplatif, et bien entendu, l'incontournable Trickster (Campbell, 1949). Mais le King of Art, lui, inaugure une nouvelle case.


Ce n'est pas un roi immuable, figé dans la tradition. C'est un roi d'un jour, un fantoche couronné au gré des expositions, des réseaux sociaux, du battage publicitaire. Un souverain instable, "fluctuatif", à la fois adulé et tourné en dérision.


La force de cet archétype, c'est qu'il incarne l'artiste dans son époque : un faiseur d'images pris dans une boucle de légitimation perpétuellement remise en question. Ce que Duchamp appelait "l'artiste créé par le regard des autres" (Schwarz, 1969) trouve ici sa forme ultime. Chaque couronnement est précaire, chaque règne temporaire.


King of Art comme métamorphe

Si le King of Art est un archétype, il ne saurait être statique. Il doit se contorsionner, se renier, se démultiplier. Hier, il était un peintre starifié par le marché. Aujourd'hui, c'est un street artiste qui tague son propre sacre sur un mur crasseux ou pas (Lewisohn, 2008). Demain, ce sera peut-être un algorithme qui générera une toile vendue aux enchères sous l'étiquette d'un génie inexistant.


Il est à la fois celui qui proclame son règne et celui qui le sabote. Un usurpateur qui, à force de feindre le pouvoir, finit par le détenir pour de bon. L'important n'est pas tant d'être roi que de revendiquer la couronne, ne serait-ce que le temps d'un graffiti sur une palissade.


Qui est vraiment le roi de l'Art ?

L'Art n'a jamais aimé les hiérarchies fixes. Les rois y sont couronnés puis destitués en un claquement de doigts. Picasso fut roi jusqu'à ce que Warhol décide qu'il était ringard (Bourdon, 1989). Warhol le fut jusqu'à ce que le Street Art sature les musées et que Banksy proclame un règne sans trône (Ganz, 2011).


Dans cette valse incessante, King of Art est devenu plus qu'une boutade. Il est une figure contemporaine essentielle, l'incarnation d'un pouvoir artistique mouvant et insaisissable. Un souverain ironique, un régnant de l'éphémère, une proclamation qui n'attend pas d'être prise au sérieux.


Alors, qui est le roi de l'Art aujourd'hui ? La réponse est simple : celui qui ose l'écrire en premier.


Bibliographie

Bourdon, D. (1989). Warhol. Abrams.

Campbell, J. (1949). The Hero with a Thousand Faces. Princeton University Press.

Ganz, N. (2011). Street Messages. Thames & Hudson.

Hoffman, F. (2017). Basquiat. Taschen.

Hyde, L. (1998). Trickster Makes This World: Mischief, Myth, and Art. Farrar, Straus and Giroux.

Jung, C. G. (1954). The Development of Personality. Princeton University Press.

Jung, C. G. (1959). The Archetypes and the Collective Unconscious. Princeton University Press.

Lewisohn, C. (2008). Street Art: The Graffiti Revolution. Abrams.

Richardson, J. (1996). Picasso: The Triumphant Years, 1917-1932. Random House.

Schwarz, A. (1969). The Complete Works of Marcel Duchamp. Delano Greenidge Editions.

Vasari, G. (1550). Le Vite de' più eccellenti pittori, scultori, e architettori. Florence: Torrentino.

Éléments de psychanalyse croisés

L'archétype du Roi (Jung, 1959)

Représente l’ordre, la légitimité et la structure. Dans l’art, ce rôle est toujours contesté, car le pouvoir artistique est fluide et instable.

La figure du King of Art illustre une variation moderne du Roi, un souverain éphémère, vite couronné et vite déchu.


Le Trickster (Hyde, 1998 ; Jung, 1954)

Personnage transgressif et joueur, détournant les règles établies.

Le King of Art, dans sa version street-art et ironique, reprend cette dynamique de provocation et de subversion.


Le regard de l’Autre (Lacan, 1964)

L’artiste se définit en grande partie par le regard que l’on porte sur lui.

Marcel Duchamp parle de l’artiste créé par les spectateurs (Schwarz, 1969), rejoignant la théorie lacanienne selon laquelle l'identité (ici artistique) est construite dans l’altérité.


Le Symbolique et l’Imaginaire (Lacan, 1953)

La couronne, objet de pouvoir, oscille entre une signification symbolique (légitimité artistique) et imaginaire (jeu et ironie).

Basquiat et Warhol ont manipulé cette tension en jouant avec les icônes du pouvoir culturel et commercial.


L’Objet Petit a et le Désir (Lacan, 1966)

L’aspiration à devenir un King of Art est une quête sans fin, car la reconnaissance artistique est insaisissable.

L’artiste cherche un statut légitimé, mais cette couronne se dérobe aussitôt qu’elle est acquise.


La temporalité du sacre (Freud, 1920)

Principe de plaisir vs principe de réalité : l’artiste peut jouir brièvement de son titre, mais la réalité du marché et des tendances le rattrape.

La montée et la chute des rois de l’art suivent un schéma proche de la compulsion de répétition freudienne.


Le Nom-du-Père et la Déconstruction de l’Autorité (Lacan, 1957)

La destruction du maître est une constante dans l’histoire de l’art : chaque génération artistique "tue le père" pour instaurer un nouveau règne.

Le King of Art est en perpétuel renversement, incarnant cette dialectique de révolte et de légitimation.


 
 

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