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Le Christ mort de Holbein (3) – Irvin Yalom enterre la dernière illusion

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 18 mars
  • 3 min de lecture
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Ce que la Psychanalyse Doit à Irvin Yalom


Lacan a été écarté. L’honnêteté l’exigeait. Face au Christ Mort dans son tombeau, la mécanique de l’objet petit a n’a pas tenu.


L’image ne laisse aucun espace au manque structurant, aucune ouverture à l’illusion d’un désir en circulation. Ce cadavre n’appelle rien, ne manque de rien, ne promet rien.


Ce qui s’impose dans ce tableau, c’est une présence absolue, une clôture. L’objet petit a, censé maintenir le sujet dans une quête infinie, disparaît devant cette image saturée de réel. Il fallait chercher ailleurs.


Yalom a peut-être la clé.

Son approche de l’angoisse existentielle, formulée en dehors du champ lacanien, permet d’ouvrir une brèche dans l’impensé du manque. Ce que cette peinture révèle ne relève pas d’un vide, mais d’un excès. Ce qui oppresse ici n’est pas une absence, mais une présence totale, étouffante, inaltérable.


Le refus de la mise en récit

La peinture de la Renaissance propose des corps en attente d’un regard. Elle invite au récit. Même crucifié, le Christ de Grünewald ou celui de Van der Weyden maintient une tension, un mouvement, un appel. La douleur y est mise en scène pour guider l’œil vers un au-delà.


Holbein soustrait ce dispositif. Son Christ n’adresse rien. Il ne regarde pas, ne se tord pas, ne réclame pas. L’agonie appartient au passé. Ce corps n’est plus qu’un poids, une masse rigide.


La boîte de perspective qui l’enferme accentue cet effet d’étouffement. L’espace s’écrase, le cadre retient ce qui, dans d’autres représentations, s’élèverait. La peinture devient une chambre hermétique, un volume clos qui ne se prolonge pas hors du cadre.

Aucune échappatoire.


L’angoisse existentielle – Ce qui se produit devant cette image

Yalom pose un constat. L’angoisse profonde n’est pas l’angoisse du manque, mais celle de la finitude. Les symptômes obsessionnels, la quête d’accomplissement, le besoin d’inscrire sa vie dans un récit plus vaste sont autant de stratégies d’évitement.


Ce tableau force à abandonner ces stratégies. Le "voyeur" tente d’insérer cette image dans une trame, de restaurer l’absence d’une narration. Il n’y parvient pas.

Il n’y a pas d’événement. Pas de transition. Pas de tension vers un après. Juste un état irréversible, qu’aucun discours ne peut absorber.


Ce Christ mort n’a plus de fonction, plus de charge, plus d’histoire. Il ne se résout pas en image, il reste là, comme un poids qui ne peut être déplacé.


Ce que Holbein nous enlève

Freud, puis Lacan, ont défini des mécanismes psychiques où la mort était toujours mise à distance, toujours pensée comme un élément structurant du désir, jamais saisie frontalement.

Holbein l’impose sans détour.


L’œil glisse, ne trouve pas d’ancrage narratif, ne perçoit aucun appel, aucun écho d’une attente. Ce cadavre n’ouvre rien. Il ne se laisse pas absorber par une dynamique du désir ou du sens.


Yalom décrit précisément ce phénomène : la confrontation directe avec la fin crée une rupture du système psychique. Ce qui angoisse ici n’est pas le risque d’une disparition, mais la certitude de sa venue.


La psychanalyse classique inscrit la mort dans un jeu de symboles et de déplacements. Holbein la donne dans sa crudité matérielle.


Leçon finale – L’épreuve du réel

Yalom affirme que la conscience de la mort ne doit pas être un simple concept, mais une expérience. La peinture de Holbein n’illustre pas la finitude, elle la met en acte.


Impossible de détourner l’image vers une leçon, une sagesse, une élévation. Ce corps n’enseigne rien, n’avertit pas, ne conduit pas à une conclusion. Il est là, totalement là, sans médiation.


L’œil peut tenter de rétablir une narration, mais c’est une opération vaine. Il faudrait forcer une cohérence qui n’existe pas.


Yalom soutient que c’est précisément cette expérience de rupture qui produit l’effondrement de l’illusion.

Holbein n’offre pas une mort sublimée. Il place une image qui ne se laisse pas récupérer par le fantasme.

C’est ce qui la rend insupportable.


Mais si cette confrontation brutale ne produit ni rachat, ni délivrance, peut-elle être autre chose qu’une absurdité ?

Camus l’aurait regardé autrement. Non plus comme une clôture, mais comme un défi.


Face à cette inertie absolue, reste une question en suspens : que fait-on de la certitude de notre propre fin ?

Bibliographie

Didi-Huberman, G. (1992). Ce que nous voyons, ce qui nous regarde. Éditions de Minuit.

Holbein, H. (1521). Le Christ mort dans son tombeau. Kunstmuseum Basel.

Yalom, I. (1980). Existential Psychotherapy. Basic Books.

Dostoïevski, F. (1869). L’Idiot. Gallimard (Traduction française).

Freud, S. (1915). Considérations sur la guerre et la mort. In Essais de psychanalyse. Payot.

Camus, A. (1942). Le Mythe de Sisyphe. Gallimard.



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