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LACAN : Origine du monde et Objet petit a.

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 5 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 6 févr.





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On croit toujours comprendre L’Origine du monde de Courbet (1866). Après tout, c’est direct : un corps de femme, cadré sans détour, dévoilant son sexe sans fard. Pas de décor, pas de mise en scène pompeuse. Un corps brut, une évidence.


Et pourtant, si cette toile continue de fasciner, d’intriguer, voire d’indigner, c’est bien qu’elle ne livre pas tout ce qu’on croit y voir. Car ce qui nous regarde ici, ce n’est pas ce corps, c’est notre propre désir. Et notre propre manque.


Lacan, jamais en retard quand il s’agit de mettre le regard en crise, possédait cette œuvre, mais pas comme un simple tableau accroché à un mur. Non, il la cachait derrière une autre peinture, comme si la révélation de cette image devait toujours être différée, contenue, suspendue.


C’est exactement ce dont il parle avec l’Objet petit a : cette chose qui cause le désir mais se dérobe au moment où l’on croit l’atteindre. Ce qui nous happe dans L’Origine du monde, ce n’est pas ce que Courbet montre, c’est ce qu’il nous refuse.


Ce que vous croyez voir : un choc frontal

Regardons bien. Un corps féminin allongé, cadré serré, le ventre légèrement rebondi, l’entrejambe exposé. Pas d’idéalisation, pas d’embellissement académique. Ce n’est pas une Vénus antique, une allégorie voilée, c’est une anatomie pure, qui s’affirme dans une frontalité radicale.


On comprend pourquoi, à l’époque, c’est une bombe. Trop net, trop réel, trop cru. Ce n’est pas du nu érotique, c’est un manifeste. Courbet ne peint pas un corps offert au regard masculin, il impose une présence. Une présence tellement brute qu’elle en devient insupportable.


Là où L’Odalisque d’Ingres (1814) offrait un fantasme orientaliste, L’Origine du monde claque comme une évidence biologique. Pas de bijoux, pas de fioritures, juste l’origine.


Et pourtant, ce choc frontal n’explique pas tout. Car ce tableau n’est pas simplement une provocation. Il nous prend au piège d’un désir qui ne peut jamais se fixer totalement.


Ce qui vous échappe : la coupure, le manque, l’Objet petit a

Si L’Origine du monde était simplement une représentation sexuelle, elle serait classée dans la catégorie "œuvre sulfureuse du XIXe siècle", et on passerait à autre chose. Mais non, quelque chose insiste, quelque chose résiste, et c’est ce qui en fait un pur Objet petit a.

Lacan aurait vu ici une mise en scène magistrale du désir comme structure du manque. Parce que ce que Courbet montre est aussi ce qu’il coupe.


Le corps est sans visage.

Impossible de savoir qui est cette femme. Ce n’est pas un portrait, ce n’est pas un sujet. On ne peut rien fixer, rien identifier. L’image nous attire, mais nous laisse sur notre faim.


Le cadrage est une amputation.

Le haut du corps disparaît. Il devrait être là, mais il est exclu. Ce qui est hors cadre devient plus fort que ce qui est visible.


Le manque est ce qui fait vibrer le désir.

Nous avons une image frontale, mais paradoxalement, nous n’avons pas tout. Ce que nous cherchons n’est pas dans la peinture, il est ailleurs, dans ce qui nous manque.


Lacan aurait dit que le désir ne se fixe jamais sur un objet en soi, mais sur un écart, un décalage, une impossibilité. C’est exactement ce qui se passe ici : L’Origine du monde nous confronte à un manque structurant.


Pourquoi Lacan cachait-il ce tableau ?

Lacan, propriétaire de cette toile, la gardait derrière une autre peinture, une œuvre de Masson, qui recouvrait L’Origine du monde comme un écran. Pour la voir, il fallait la dévoiler, la soulever.


Ce jeu de révélation différée dit tout. Ce n’est pas une question de pudeur, c’est une question de structure du désir.


L’Objet petit a ne se donne jamais frontalement. 

Il est toujours dans un mouvement de retrait et de dévoilement partiel.


Ce que nous cherchons n’est jamais exactement là où nous croyons le trouver.

Nous pensons voir "l’origine du monde", mais nous sommes pris dans un jeu d’attente, de frustration, de projection.


Courbet, Lacan, même combat : nous mettre en face d’un manque impossible à combler.


4. L’Origine du monde aujourd’hui : un trou dans l’image

Pourquoi cette œuvre continue-t-elle de provoquer, alors que des images bien plus explicites circulent librement ?

Parce que Courbet ne peint pas un acte, il peint un vide actif, un point de fixation où notre propre désir se confronte à son impuissance à saisir l’objet.


Nous regardons, mais nous ne pouvons jamais pleinement voir.

Nous avons accès à l’image, mais pas au sujet.

Nous croyons être face à une évidence, mais elle nous échappe toujours.

C’est ce qui fait de cette œuvre une mise en scène pure de l’Objet petit a : ce que nous poursuivons, ce que nous voulons voir, n’est jamais exactement là.


Elle n’est pas simplement une toile scandaleuse : elle est un piège à regard, une démonstration grandeur nature de l’impossibilité d’atteindre ce qui cause notre désir.


Voir ou ne pas voir, là est la vraie question

L’Origine du monde n’est pas une image fixe. Elle est un espace ouvert où chacun projette ce qui lui manque.

Lacan, en la cachant derrière une autre toile, avait bien compris que le désir naît toujours de ce qui se dérobe.

Et si Courbet avait voulu nous donner l’origine du monde, il nous aurait peut-être montré autre chose.

Mais alors… aurions-nous autant désiré la voir ?



Bibliographie

Courbet, Gustave. L’Origine du monde, 1866. Musée d’Orsay, Paris.

Lacan, Jacques. Le Séminaire, Livre XI : Les quatre concepts fondamentaux de la psychanalyse, 1973. Paris : Seuil.

Didi-Huberman, Georges. Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, 1992. Paris : Minuit.

Belting, Hans. Image, medium, body, 2005. Chicago : University of Chicago Press.

Foucault, Michel. Les mots et les choses, 1966. Paris : Gallimard.

Masson, André. Le recouvrement de L’Origine du monde, 1955. Collection privée.



Concepts psychanalytiques évoqués

1. L’Objet petit a (Lacan) L’objet du désir n’est jamais pleinement atteignable, il se dérobe toujours. Ici, le cadrage crée un manque qui stimule le regard.

2. Le regard et le désir (Lacan) Ce que nous croyons voir est toujours structuré par un manque. L’Origine du monde est un écran où chacun projette ce qu’il cherche.

3. Le manque structurant (Lacan, Freud) L’impossibilité de saisir totalement l’objet du désir fait que le désir persiste. Si nous avions accès à "tout", il n’y aurait plus de désir.



 
 

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