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JUNG : No Future ? Ou comment créer une œuvre qui nous survive ?

  • Photo du rédacteur: Fabrice LAUDRIN
    Fabrice LAUDRIN
  • 6 févr.
  • 4 min de lecture

Dernière mise à jour : 7 févr.




L’artiste se berce toujours de la même illusion : croire qu’il peut repartir de zéro. Balayer les formes anciennes, refuser l’héritage, inventer quelque chose d’absolument neuf, comme s’il pouvait s’arracher à l’histoire, à la mémoire, à tout ce qui l’a précédé. Erreur de jeunesse.


Tout créateur est traversé. Il ne commence jamais seul. Il pense voir surgir une image, une intuition pure, mais cette image porte déjà des ombres anciennes, des échos d’un temps qu’il n’a pas connu. Il convoque, sans le savoir, des figures qui étaient là bien avant lui.

Jung a donné un nom à ces spectres familiers : les archétypes.


Ils ne sont pas de simples motifs répétés, des figures usées jusqu’à la corde. Ils sont des structures de la psyché, des schémas enfouis dans l’inconscient collectif, des forces qui organisent notre façon de rêver, d’imaginer, de créer.


Les ignorer, c’est croire qu’on peut parler une langue sans en connaître la grammaire. Mais les comprendre, les manipuler, les plier à sa vision, c’est jouer avec une matière vivante, modeler quelque chose qui survivra au temps. Voici quelques exemples pour commencer la réflexion, avant de les développer dans des billets suivants.



Léonard de Vinci et l’enfant qui sait déjà tout


Il y a des visages qui résistent. Ni totalement humains, ni totalement divins, flottant dans un entre-deux qui trouble. Celui de Saint Jean-Baptiste, peint par Léonard, est de ceux-là.


Un sourire à peine esquissé, une main levée dans un geste énigmatique, une lueur de malice qui efface toute certitude sur son âge, son sexe, son rôle. Rien ne le fige dans l’instant, tout semble en devenir, en attente d’une révélation qui ne viendra jamais.


Léonard ne peint pas un simple prophète, il touche à un archétype. L’Enfant Divin.

Non pas un enfant au sens ordinaire, mais celui qui précède, celui qui sait avant les autres, celui qui pointe l’invisible.


L’artiste aurait pu donner à Jean-Baptiste l’austérité d’un vieil ermite, creusé par la pénitence. Il choisit le mystère, l’androgynie, un regard qui échappe autant qu’il attire.

Ce n’est pas une figure que l’on protège, c’est une figure qui nous précède.


Le Caravage et le Héros suspendu à son épreuve

Les héros ne triomphent pas toujours. Parfois, ils ne sont même pas sûrs de pouvoir lever l’épée.


Dans Le Sacrifice d’Isaac, le Caravage ne met pas en scène un combat héroïque, mais une hésitation.


Le bras d’Abraham est levé, le couteau brille, et pourtant, tout est figé. La scène n’est pas encore jouée. Isaac n’est pas sauvé, pas encore sacrifié, dans un entre-deux où tout peut encore basculer.

Et c’est précisément là que l’archétype du Héros prend toute sa puissance.


On croit que le Héros, c’est celui qui terrasse, qui triomphe, qui avance sans peur. Mais non. Le Héros, c’est celui qui traverse l’épreuve sans savoir s’il en ressortira vivant.

C’est ce qui fait que cette image nous parle encore aujourd’hui. Elle met en scène une tension universelle. Le moment où tout peut se perdre, où l’histoire peut prendre n’importe quel tournant.


Ce n’est pas un hasard si cette structure se répète partout : Thésée dans le labyrinthe, Hamlet qui hésite, David face à Goliath avant le lancer fatal.


Un archétype n’est pas une simple histoire que l’on répète, c’est une énergie que l’on ranime, un moteur qui fait vibrer une œuvre bien après sa création.


Bruegel et le Trickster qui joue avec nous

Il y a des batailles qui ne sont pas faites pour être gagnées. Elles sont là pour nous montrer à quel point nous sommes ridicules.


Bruegel, dans Le Combat de Carnaval et Carême, orchestre un chaos absurde. Deux forces s’affrontent, la fête et la restriction, le plaisir et la règle, et dans cet affrontement, aucun vainqueur. Juste un grand théâtre grotesque où chacun pousse son rôle à l’excès, jusqu’à la caricature. Mais au centre, le Trickster rit.


Celui qui ne choisit pas de camp, celui qui dérange, qui renverse, qui pousse les contradictions à leur paroxysme pour mieux nous les faire voir.


L’archétype du Trickster n’est pas une simple figure de l’amusement. Il est le perturbateur nécessaire, celui qui empêche l’ordre de se figer, celui qui renverse pour réorganiser autrement.


Chaque époque a son Trickster. Il est Arlequin, il est Loki, il est Dada, il est Banksy.

Bruegel l’avait compris : tant que cette force existe, aucune vérité ne peut se figer totalement.



L’illusion de l’originalité pure

Il y a toujours eu des artistes pour dire qu’ils allaient tout détruire, tout réinventer, tout casser. Mais l’originalité absolue est une chimère.


L’art ne naît pas dans le vide. Il naît d’une manipulation des formes qui nous hantent.


Magritte et son Fils de l’Homme ? Ce n’est pas qu’une image surréaliste. C’est l’archétype du Moi divisé, de l’identité qui se masque, du regard qui échappe.


Picasso et ses Arlequins ? Ce sont des Tricksters. Des figures aussi vieilles que le monde, mais rejouées dans un langage nouveau.


Une œuvre qui refuse les archétypes se prive d’un ancrage plus profond. Elle devient une construction intellectuelle, privée de la force des mythes, et finit par disparaître.


Créer avec les archétypes, c’est créer avec le temps

Les artistes passent. Les œuvres s’effacent. Mais un archétype bien manipulé, lui, traverse.

Ce qui fait la force d’une image, ce n’est pas qu’elle soit neuve, c’est qu’elle s’imprime en nous.


Jung nous a laissé un terrain de jeu immense. Les archétypes ne sont pas des modèles rigides, ils sont des réservoirs d’énergie.


Ne pas les connaître, c’est les subir. Les comprendre, c’est pouvoir les tordre, les réinventer, les piéger.

Et c’est là que commence le vrai pouvoir d’un créateur.

Non pas nier ce qui le traverse, mais apprendre à en jouer

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